[[:des_routes_et_des_ponts|Retour au sommaire]] ## Les efforts institutionnels pour financer les infrastructures numériques Il existe des institutions qui s’efforcent d’organiser collectivement les projets *open source* et aider à leur financement. Il peut s’agir de fondations indépendantes liées aux logiciels, ou d’entreprises de logiciels elles-mêmes qui apportent leur soutien. ### Soutien administratif et mécénat financier Plusieurs fondations fournissent un soutien organisationnel, comme le mécénat financier, aux projets *open source* : en d’autres termes, la prise en charge des tâches autres que le code, dont beaucoup de développeurs se passent volontiers. L’Apache Software Foundation, constituée en 1999, a été créée en partie pour soutenir le développement du serveur Apache HTTP, qui dessert environ 55 % de la totalité des sites internet dans le monde[^P5ch4_a]. Depuis lors, la fondation Apache est devenue un foyer d’ancrage pour plus de 350 projets[^P5ch4_b] *open source*. Elle se structure comme une communauté décentralisée de développeurs, sans aucun employé à plein temps et avec presque 3000 bénévoles. Elle propose de multiples services aux projets qu’elle héberge, consistant principalement en un soutien organisationnel, juridique et de développement. En 2011, Apache avait un budget annuel de plus de 500 000 $, issu essentiellement de subventions et de donations[^P5ch4_c]. Le Software Freedom Conservancy, fondée en 2006, fournit également des services administratifs non-lucratifs à plus de 30 projets libres et *open source[^P5ch4_d]*. Parmi les projets que cette fondation soutient, on retrouve notamment Git, le système de contrôle de versions dont nous avons parlé plus haut et sur lequel GitHub a bâti sa plateforme, et Twisted, une librairie Python déjà citée précédemment[^P5ch4_e]. On trouve encore d’autres fondations fournissant un soutien organisationnel, par exemple The Eclipse Foundation et Software in the Public Interest. La Fondation Linux et la Fondation Mozilla soutiennent également des projets *open source* externes de diverses façons (dont nous parlerons plus loin dans ce chapitre), bien que ce ne soit pas le but principal de leur mission. Il est important de noter que ces fondations fournissent une aide juridique et administrative, mais rarement financière. Ainsi, être sponsorisé par Apache ou par le Software Freedom Conservancy ne suffit pas en soi à financer un projet ; les fondations ne font que faciliter le traitement des dons et la gestion du projet. Un autre point important à noter, c’est que ces initiatives soutiennent le logiciel libre et *open source* d’un point de vue philosophique, mais ne se concentrent pas spécifiquement sur ses infrastructures. Par exemple, OpenTripPlanner, projet soutenu par le Software Freedom Conservancy, est un logiciel pour planifier les voyages : même si son code est *open source*, il s’agit d’une application destinée aux consommateurs, pas d’une infrastructure. ### Créer une fondation pour aider un projet Certains projets sont suffisamment importants pour être gérés à travers leurs propres fondations. Python, Node.js, Django et jQuery sont tous adossés à des fondations. Il y a deux conditions fondamentales à remplir pour qu’une fondation fonctionne : accéder au statut d’exemption fiscale et trouver des financements. Réussir à accéder au statut 501(c3)[^P5ch4_f], la loi américaine qui définit les organismes sans but lucratif, peut s’avérer difficile pour ces projets, à cause du manque de sensibilisation autour de la technologie *open source* et de la tendance à voir l’*open source* comme une activité non-caritative. En 2013, une controverse a révélé que l’IRS (Internal Revenue Service, service des impôts américain) avait dressé une liste de groupes postulant au statut d’exemption fiscale qui nécessiteraient davantage de surveillance : l’*open source* en faisait partie[^P5ch4_g][^P5ch4_h]. Malheureusement, ces contraintes ne facilitent pas l’institutionnalisation de ces projets. Par exemple, Russell Keith-Magee, qui était jusqu’à une époque récente président de la Django Software Foundation, a expliqué que la fondation ne pouvait pas directement financer le développement logiciel de Django, sans prendre le risque de perdre son statut 501(c3). La fondation soutient plutôt le développement via des activités communautaires. En juin 2014, la Fondation Yorba, qui a créé des logiciels de productivité qui tournent sous Linux, s’est vu refuser le statut 501(c3) après avoir attendu la décision pendant presque quatre ans et demi. Jim Nelson, son directeur exécutif, a été particulièrement inquiété par le raisonnement de l’IRS : parce que leur logiciel pouvait potentiellement être utilisé par des entités commerciales, le travail de Yorba ne pouvait pas être considéré comme caritatif. Une lettre de l’IRS explique[^P5ch4_i] : > Se contenter de publier sous une licence *open source* tous usages > ne signifie pas que les pauvres et les moins privilégiés utiliseront > effectivement les outils. (…) On ne peut pas savoir qui utilise les > outils, et encore moins quel genre de contenus sont créés avec ces > outils. Nelson a pointé les failles de ce raisonnement dans un billet de blog, comparant la situation à celle d’autres biens publics[^P5ch4_j] : > Il y a une organisation caritative ici à San Francisco qui > plante des arbres pour le bénéfice de tous. Si l’un de leurs arbres… > rafraîchit les clients d’un café pendant qu’ils profitent de leur > expresso, cela signifie-t-il que l’organisation qui plante des arbres > n’est plus caritative ? Les projets qui accèdent au statut 501(c3) ont tendance à insister sur l’importance de la communauté, comme la Python Software Foundation, dont l’objet est[^P5ch4_k] de « promouvoir, protéger et faire progresser le langage de programmation Python, ainsi que de soutenir et faciliter la croissance d’une communauté diversifiée et internationale de programmeurs Python. » En parallèle, certains projets candidatent pour devenir une association de commerce au sens du statut 501(c6)[^P5ch4_l]. La Fondation jQuery en est un exemple, se décrivant[^P5ch4_m] comme « une association de commerce à but non-lucratif pour développeurs web, financée par ses membres ». La Fondation Linux est également une association de commerce. Le deuxième aspect de la formalisation de la gouvernance d’un projet à travers une fondation est la recherche de la source de financement adéquate. Certaines fondations sont financées par des donations individuelles, mais ont proportionnellement de petits budgets. La Django Software Foundation, par exemple, gère Django, le plus populaire des *frameworks web* écrits en Python, utilisé par des entreprises comme Instagram et Pinterest. La Fondation est dirigée par des bénévoles, et reçoit moins de 60 000 $ de donations par an[^P5ch4_n]. L’année dernière, la Django Software Foundation a reçu une subvention ponctuelle de la part de la Fondation Mozilla[^P5ch4_o]. Parmi les autres sources habituelles de financement on trouve les entreprises mécènes. En effet, les entreprises privées sont bien placées pour financer ces projets logiciels, puisqu’elles les utilisent elles-mêmes. La Fondation Linux est l’un de ces cas particuliers qui rencontrent le succès, et ce grâce la valeur fondamentale du noyau Linux pour les activités de quasiment toutes les entreprises. La Fondation Linux dispose de 30 millions de dollars d’un capital géré sur une base annuelle, alimenté par des entreprises privées comme IBM, Intel, Oracle et Samsung – et ce chiffre continue d’augmenter[^P5ch4_p]. Créer une fondation pour soutenir un projet est une bonne idée pour les projets d’infrastructure très conséquents. Mais cette solution est moins appropriée pour de plus petits projets, en raison de la quantité de travail, des ressources, et du soutien constant des entreprises, nécessaires pour créer une organisation durable. Node.js est un exemple récent d’utilisation réussie d’une fondation pour soutenir un gros projet. Node.js est un *framework* JavaScript, développé en 2009 par Ryan Dahl et différents autres développeurs employés par Joyent, une entreprise privée du secteur logiciel. Ce *framework* est devenu extrêmement populaire, mais a commencé à souffrir de contraintes de gouvernance liées à l’encadrement par Joyent, que certaines personnes estimaient incapable de représenter pleinement la communauté enthousiaste et en pleine croissance de Node.js. En 2014, un groupe de contributeurs de Node.js menaça de *forker* le projet. Joyent essaya de gérer ces problèmes de gouvernance en créant un conseil d’administration pour le projet, mais la scission eut finalement lieu, le nouveau *fork* prenant le nom d’io.js[^P5ch4_q]. En février 2015 fut annoncée l’intention de créer une organisation 501(c)(6) en vue d’extraire Node.js de la mainmise de Joyent. Les communautés Node.js et io.js votèrent pour travailler ensemble sous l’égide de cette nouvelle entité, appelée la Fondation Node.js. La Fondation Node.js, structurée suivant les conseils de la Fondation Linux, dispose d’un certain nombre d’entreprises mécènes qui contribuent financièrement à son budget, notamment IBM, Microsoft et payPal[^P5ch4_r]. Ces sponsors pensent retirer une certaine influence de leur soutien au développement d’un projet logiciel populaire qui fait avancer le web, et ils ont des ressources à mettre à disposition. Un autre exemple prometteur est Ruby Together, une organisation initiée par plusieurs développeurs Ruby pour soutenir des projets d’infrastructure Ruby. Ruby Together est structurée en tant qu’association commerciale, dans laquelle chaque donateur, entreprise ou individu, investit de l’argent pour financer le travail à temps plein de développeurs chargés d’améliorer le cœur de l’infrastructure Ruby. Les donateurs élisent un comité de direction bénévole, qui aide à décider chaque mois sur quels projets les membres de Ruby Together devraient travailler. Ruby Together fut conçue par deux développeurs et finance leur travail, il s'agit d'André Arko et de David Radcliffe. Aujourd’hui, en avril 2016, est également rémunéré le travail de quatre autres mainteneurs d’infrastructure. Le budget mensuel en mars 2016 était d’un peu plus de 18 000 dollars par mois, couvert entièrement par des dons. La création de Ruby Together fut annoncée en mars 2015 et reste un projet récent, mais pourrait bien servir de base à un modèle davantage orienté vers la communauté pour financer la création d’autres projets d’infrastructure[^P5ch4_s]. ### Programmes d’entreprises Les éditeurs de logiciels soutiennent les projets d’infrastructure de différentes manières. En tant que bénéficiaires des projets d’infrastructures, ils contribuent en faisant remonter des dysfonctionnements et des bugs, en proposant ou soumettant de nouvelles fonctionnalités ou par d’autres moyens. Certaines entreprises encouragent leurs employés à contribuer à des projets d’une importance critique sur leur temps de travail. De nombreux employés contribuent ainsi de manière significative à des projets *open source* extérieurs à l’entreprise. Pour certains employés, travailler sur de l’*open source* fait clairement partie de leur travail. L’allocation de temps de travail de leurs salariés est une des plus importantes façons de contribuer à l’*open source* pour les entreprises. Les grandes entreprises comme Google ou Facebook adhèrent avec enthousiasme à l’*open source*, de façon à inspirer confiance et renforcer leur influence ; elles sont de fait les seuls acteurs institutionnels assez importants qui peuvent assumer son coût sans avoir besoin d’un retour financier sur investissement. Les projets *open source* aident à renforcer l’influence d’une entreprise, que ce soit en publiant son propre projet *open source* ou en embauchant des développeurs de premier plan pour qu’ils travaillent à plein temps sur un projet *open source*. Ces pratiques ne sont pas limitées aux entreprises purement logicielles. Walmart, par exemple, qui est un soutien majeur de l’*open source*, a investi plus de deux millions de dollars dans un projet *open source* nommé hapi[^P5ch4_t]. Eran Hammer, développeur senior à Walmart Labs, s’est empressé de préciser[^P5ch4_u] que « l’*open source*, ce n’est pas du caritatif » et que les ressources d’ingénierie gratuites sont proportionnelles à la taille des entreprises qui utilisent hapi. Dion Almaer, l’ancien vice-président en ingénierie de Walmart Labs, a remarqué que leur engagement envers l’*open source* les aidait à recruter, à construire une solide culture d’entreprise, et à gagner « une série d’effets de levier[^P5ch4_v] ». En termes de soutien direct au maintien du projet, il arrive que des entreprises embauchent une personne pour travailler à plein temps à la maintenance d’un projet *open source*. Les entreprises donnent aussi occasionnellement à des campagnes de financement participatif pour un projet particulier. Par exemple, récemment, une campagne sur Kickstarter pour financer un travail essentiel sur Django a reçu 32 650 £ (environ 40 000 €) ; Tom Christie, l’organisateur de la campagne, a déclaré[^P5ch4_w] que 80 % du total venait d’entreprises. Cependant, ces efforts sont toujours consacrés à des projets  spécifiques et les infrastructures numériques ne sont pas encore vues communément comme une question de responsabilité sociale par les entreprises de logiciel à but lucratif. Cela laisse encore beaucoup de marge aux actions de défense et promotion. L’un des programmes d’entreprise les plus connus est le *Summer of Code* de Google (été de programmation, souvent nommé GSoC), déjà mentionné dans ce livre[^P5ch4_x], qui offre de l’argent à des étudiants pour travailler sur des projets *open source* pendant un été. Les étudiants sont associée·e·s à des mentors qui vont les aider à se familiariser avec le projet. Le *Summer of Code* est maintenu par le bureau des programmes *open source* de Google, et il a financé des milliers d’étudiants[^P5ch4_y][^P5ch4_z]. Le but du *Summer of Code* est de donner à des étudiants la possibilité d’écrire du code pour des projets *open source*, non de financer les projets eux-mêmes. L’an dernier, Stripe, une entreprise de traitement des paiements, a annoncé une « retraite  *open source* », offrant un salaire mensuel d’un maximum de 7500 dollars pour une session de trois mois dans les locaux de Stripe[^P5ch4_aa]. À l’origine, l’entreprise voulait uniquement offrir deux bourses, mais après avoir reçu 120 candidatures, le programme a été ouvert à quatre bénéficiaires. Ces derniers ont été enchantés par cette expérience. L’un d’entre eux, Andrey Petrov, continue de maintenir la bibliothèque Python urllib3 dont nous avons déjà parlé[^P5ch4_ab], et qui est largement utilisée dans l’écosystème Python. À propos de cette expérience, Andrey a écrit[^P5ch4_ac] : > La publication et la contribution au code *open source* vont > continuer que je sois payé pour ou non, mais le processus sera lent et > non ciblé. Ce qui n’est pas un problème, car c’est ainsi que l’*open > source* a toujours fonctionné. Mais on n’est pas obligé d’en rester là. (…) > > Si vous êtes une entreprise liée à la technologie, allouez s’il vous > plaît un budget pour du financement et des bourses dans le domaine de > l’open source. Distribuez-le sur Gittip (Gittip est maintenant dénommé > Gratipay. Le produit a été quelque peu modifié depuis la publication > originelle du billet d’Andrew) si vous voulez, ou faites ce qu’a fait > Stripe et financez des sprints ambitieux pour atteindre des objectifs > de haute valeur. > > Considérez ceci comme une demande solennelle de parrainage : s’il > vous plaît, aidez au financement du développement d’urllib3. La retraite *open source* de Stripe peut servir de modèle aux programmes de soutien. Stripe a décidé de reconduire le programme pour une deuxième année consécutive en 2015. Malgré la popularité de leur programme et la chaude réception qu’il a reçue chez les développeurs et développeuses, cette pratique n’est toujours pas répandue dans les autres entreprises. Les entreprises montrent un intérêt croissant pour l’*open source*, et personne ne peut prédire au juste ce que cela donnera sur le long terme. Les entreprises pourraient régler le problème du manque de support à long terme en consacrant des ressources humaines et un budget aux projets *open source*. Des programmes de bourse formalisés pourraient permettre de mettre en contact des entreprises avec des développeurs *open source* ayant besoin d’un soutien à plein temps. Alors que les équipes de contributeurs à un projet étaient souvent composées d’une diversité de développeurs venant de partout, peut-être seront-elles bientôt composées par un groupe d’employés d’une même entreprise. Les infrastructures numériques deviendront peut-être une série de « jardins clos », chacun d’entre eux étant techniquement ouvert et bénéficiant d’un soutien solide, mais en réalité, grâce à ses ressources illimitées, une seule entreprise et de ses employés en assureront le soutien. Mais si on pousse la logique jusqu’au bout, ce n’est pas de très bon augure pour l’innovation. Jeff Lindsay, un architecte logiciel qui a contribué à mettre en place l’équipe de Twilio, une entreprise performante de solutions de communication dans le *cloud*, livrait  l’an dernier ses réflexions dans une émission[^P5ch4_ad] : > À Twilio, on est incité à améliorer le fonctionnement de Twilio, > à Amazon on est incité à améliorer le fonctionnement d’Amazon. Mais > qui est incité à mieux les faire fonctionner ensemble et à offrir plus > de possibilités aux usagers en combinant les deux ? Il n’y a > personne qui soit vraiment incité à faire ça. Timothy Fuzz, un ingénieur système, ajoute[^P5ch4_ae] : > Pour Bruce Schneier, cette situation tient du servage. Nous > vivons dans un monde où Google est une cité-état, où Apple est une > cité-état et… si je me contente de continuer à utiliser les produits > Google, si je reste confiné dans l’environnement Google, tout me > paraît bénéfique. Mais il est quasi impossible de vivre dans un monde > où je change d’environnement : c’est très pénible, vous tombez sur > des bugs, et aucune de ces entreprises ne cherche vraiment à vous > aider. Nous sommes dans ce monde bizarre, mais si vous regardez du > côté des cités-états, l’un des problèmes majeurs c’est le commerce > inter-étatique : si on doit payer des droits de douane parce qu’on > cherche à exporter quelque chose d’Austin pour le vendre à Dallas, ce > n’est pas un bon modèle économique. On pâtit de l’absence d’innovation > et de partage des idées. On en est là, aujourd’hui. Bien que l’argument du « servage » se réfère généralement aux produits d’une entreprise, comme l’addiction à l’iPhone ou à Android, il pourrait être tout aussi pertinent pour les projets *open source* parrainés. Les améliorations prioritaires seront toujours celles qui bénéficient directement à l’entreprise qui paie le développeur. Cette remarque ne relève pas de la malveillance ou de la conspiration : simplement, être payé par une entreprise pour travailler à un projet qui ne fait pas directement partie de ses affaires est une contrainte à prendre en compte. Mais personne, pas plus Google que la Fondation Linux ou qu’un groupe de développeurs indépendants, ne peut contrôler l’origine d’un bon projet *open source*. Les nouveaux projets de valeur peuvent germer n’importe où, et quand ils rendent un service de qualité aux autres développeurs, ils sont largement adoptés. C’est une bonne chose et cela alimente l’innovation. ### Aide spécifique de fondation Deux fondations ont récemment fait part de leur décision de financer plus spécifiquement l’infrastructure numérique : la Fondation Linux et la Fondation Mozilla. Après la découverte de la faille Heartbleed, la Fondation Linux a annoncé qu’elle mettait en place l’Initiative pour les infrastructures essentielles (Core Infrastructure Initiative, CII) pour éviter que ce genre de problème ne se reproduise. Jim Zemlin, le directeur-général de la Fondation Linux, a réuni près de 4 millions de dollars en promesses de dons provenant de treize entreprises privées, dont Amazon Web Services, IBM et Microsoft, pour financer des projets liés à la sécurité des infrastructures pour les trois ans à venir[^P5ch4_af]. La Fondation Linux s’occupe également d’obtenir des financements gouvernementaux, y compris de la Maison-Blanche[^P5ch4_ag]. La CII est officiellement un projet de la fondation Linux. Depuis sa création en avril 2014, la CII a sponsorisé du travail de développement d’un certain nombre de projets, dont OpenSSL, NTP, GnuPG (un système de chiffrement des communications) et OpenSSH (un ensemble de protocoles relatifs à la sécurité). La CII se concentre en priorité sur une partie de l’infrastructure numérique : les projets relatifs à la sécurité. Au mois d’octobre 2015, Mitchell Baker, la présidente de la Fondation Mozilla, a annoncé la création du Programme de soutien à l’*open source* de Mozilla (Mozilla Open Source Support Program, MOSS) et a promis de consacrer un million de dollars au financement de logiciels libres et *open source*. Selon Baker, ce programme aura deux volets : un volet « rétribution » pour les projets qu’utilise Mozilla et un volet « contribution » pour les projets libres et *open source* en général. Grâce aux suggestions de la communauté, Mozilla a sélectionné neuf projets pour la première série de bourses[^P5ch4_ah]. Ils se disent également prêts à financer des audits de sécurité pour les projets *open source* importants[^P5ch4_ai]. Enfin, certaines fondations contribuent ponctuellement à des projets de développement logiciel. Par exemple, la Python Software Foundation propose aux individus et aux associations des bourses modestes destinées pour la plupart aux actions pédagogiques et de sensibilisation[^P5ch4_aj]. ### Autres acteurs institutionnels Il existe plusieurs autres acteurs qui apportent diverses formes de soutien aux infrastructures numériques : Github, le capital-risque et le monde universitaire. Si Facebook est un « utilitaire social[^P5ch4_ak] » et Google un « utilitaire de recherche », tous deux régulant *de facto* les corps dans leur domaine respectif – alors Github a une chance de devenir « l’utilitaire *open source* ». Son modèle économique l’empêche de devenir un mastodonte financier (contrairement à Facebook ou Google dont le modèle est basé sur la publicité, alors que Github se monétise par l’hébergement de code pour les clients professionnels, et par l’hébergement individuel de code privé), mais Github est toujours un endroit où aujourd’hui encore l’*open source* est créé et maintenu. Github s’est doté de grandes aspirations avec une levée de fonds de capital-risque de 350 millions de dollars, même si l’entreprise était déjà rentable. Si Github assume pleinement son rôle d’administrateur du code *open source*, l’organisation peut avoir une énorme influence sur le soutien apporté à ces projets. Par exemple, elle peut créer de meilleurs outils de gestion de projets *open source*, défendre certaines catégories de licences, ou aider les gestionnaires de projets à gérer efficacement leurs communautés. Github a subi de grosses pressions venant des développeurs qui gèrent certains projets, ces pressions incluent une lettre ouverte collective[^P5ch4_al] intitulée « Cher Github », principalement issue de la communauté JavaScript. Cette lettre explique : « Beaucoup sont frustrés. Certains parmi nous qui déploient des projets très populaires sur Github se sentent totalement ignorés par vous ». La lettre inclut une liste de requêtes pour l’amélioration de produits, qui pourrait les aider à gérer plus efficacement leurs projets. Github se confronte de plus en plus à des difficultés largement documentées dans les médias. Auparavant, l’entreprise était connue pour sa hiérarchie horizontale, sans aucun manager ni directive venant d’en haut. Les employés de Github avaient aussi la liberté de choisir de travailler sur les projets qu’ils souhaitaient[^P5ch3_am]. Ces dernières années, tandis que Github s’est développé pour atteindre presque 500 employés, l’entreprise a réorienté sa stratégie vers une orientation plus commerciale en recrutant des équipes de vente et des dirigeants, insérés dans un système hiérarchique plus traditionnel. Cette transition d’une culture décentralisée vers plus de centralité s’est faite dans la douleur chez Github : au moins 10 dirigeants ont quitté l’organisation durant les quelques mois de l’hiver 2015-2016, ces départs incluant l’ingénieur en chef, le directeur des affaires financières, le directeur stratégique et le directeur des ressources humaines[^P5ch4_an]. En raison de ces conflits internes, Github n’a toujours pas pris position publiquement pour jouer un rôle de promoteur de l’*open source* et assumer un leadership à même de résoudre les questions pressantes autour de l’*open source*, mais le potentiel est bel et bien là. Pour le capital-risque, abordé précédemment, il y a un enjeu particulier dans l’avenir des infrastructures numériques. Comme les outils des développeurs aident les entreprises du secteur technologique à créer plus rapidement et plus efficacement, meilleurs sont les outils, meilleures sont les *startups*, meilleure sera la rentabilité du capital-risque. Néanmoins, l’infrastructure, d’un point de vue capitaliste, n’est en rien limitée à l’*open source* mais plus largement focalisée sur les plateformes qui aident d’autres personnes à créer. C’est pour cela que les investissements dans Github ou npm, qui sont des plateformes qui aident à diffuser du code source, ont un sens, mais tout aussi bien les investissements dans Slack, une plateforme de travail collaboratif que les développeurs peuvent utiliser pour construire des applications en ligne de commande connectées à la plateforme (à ce propos, le capital-risque a constitué un fonds de 80 millions dédié au support de projets de développement qui utilisent Slack[^P5ch4_ao]). Même si le capital-risque apprécie les mécaniques sous-jacentes de l’infrastructure, il est limité dans ses catégories d’actifs : un capitaliste ne peut pas investir dans un projet sans modèle économique. Enfin, les institutions universitaires ont joué un rôle historique éminent dans le soutien aux infrastructures numériques, tout particulièrement le développement de nouveaux projets. Par exemple, LLVM, un projet de compilateur pour les langages C et C++, a démarré en tant que projet de recherche au sein de l’Université de l’Illinois, à Urbana-Champaign. Il est maintenant utilisé par les outils de développement de Mac OS X et iOS d’Apple, mais aussi dans le kit de développement de la Playstation 4 de Sony. Un autre exemple, R, un langage de programmation répandu dans la statistique assistée par ordinateur et l’analyse de données, a été d’abord écrit par Robert Gentleman et Ross Ihaka à l’Université d’Auckland[^P5ch4_ap]. R n’est pas uniquement utilisé par des entreprises logicielles comme Facebook ou Google, mais aussi par la Bank of America, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux et le Service météorologique national américain, entre autres[^P5ch4_aq]. Quelques universités emploient également des programmeurs qui ont alors la liberté de travailler à des projets *open source*. Par exemple, le protocole d’heure réseau ou NTP (Network Time Protocol) utilisé pour synchroniser le temps via Internet, fut d’abord développé par David Mills, maintenant professeur émérite de l’université du Delaware — le projet continuant à être maintenu par un groupe de volontaires conduit par Harlan Stenn. Bash, l’outil de développement dont nous parlions dans un chapitre précédent[^P5ch4_ar], est actuellement maintenu par Chet Ramsay, qui est employé par le département des technologies de l’information de l’université Case Western. Les institutions universitaires ont le potentiel pour jouer un rôle important dans le soutien de nouveaux projets, parce que cela coïncide avec leurs missions et types de donation, mais elles peuvent aussi manquer de la réactivité nécessaire pour attirer les nouveaux programmeurs *open source*. NumFOCUS[^P5ch4_as] est un exemple d’une fondation 501(c)(3) qui soutient les logiciels scientifiques *open source* à travers des donations et  parrainages financiers. Le modèle de la fondation externe peut aider à fournir le soutien dont les logiciels scientifiques ont besoin dans un contexte d’environnement universitaire. Les fondations Alfred P. Sloan et Gordon & Betty Moore expérimentent aussi des manières de connecter les institutions universitaires avec les mainteneurs de logiciels d’analyse des données, dans le but de soutenir un écosystème ouvert et durable[^P5ch4_at]. [^P5ch4_a]: [Données statistiques](https://w3techs.com/technologies/overview/web_server/all) sur W3techs.com, données en continu. En Janvier 2017, la part d'Apache est de 50,8%. [^P5ch4_b]: Voir le site [Apache.org](http://www.apache.org/). [^P5ch4_c]: Voir « [Apache Software Foundation](https://fr.wikipedia.org/wiki/Apache_Software_Foundation) », sur Wikipédia. [^P5ch4_d]: Voir [la page Projets](https://sfconservancy.org/projects/current/) sur le site de la Software Freedom Conserancy (sfconservancy.org). [^P5ch4_e]: voir Partie 3, Chapitre 2. [^P5ch4_f]: Pour en savoir plus, voir sur le statut 501(c) des USA. Article « [501c](https://fr.wikipedia.org/wiki/501c) » sur Wikipédia. Le statut 501(c3) est assez proche du statut français des associations à but non lucratif déclarées d'utilité publique. [^P5ch4_g]: Voir l'article « [IRS targeting controversy](https://en.wikipedia.org/wiki/IRS_targeting_controversy) » sur Wikipédia. [^P5ch4_h]: Kelly Phillips Erb, « [Not Just The Tea Party: IRS Targeted and Turned Down Tax Exempt Status Tied To Open Source Software](http://www.forbes.com/sites/kellyphillipserb/2014/07/17/not-just-the-tea-party-irs-targeted-turned-down-tax-exempt-status-tied-to-open-source-software/) », *Forbes*, 17/07/2014. [^P5ch4_i]: Jim Nelson, « ,[The new 501(c)(3) and the future of free software in the United States](https://blogs.gnome.org/jnelson/2014/06/30/the-new-501c3-and-the-future-of-free-software-in-the-united-states/) », *Jim Nelson and Yorba Foundation Archives* (blog), 30/06/2014. [^P5ch4_j]: Idem. [^P5ch4_k]: Présentation de la [Python Software Foundation](https://www.python.org/psf/), sur le site Python.org. [^P5ch4_l]: Voir l'article « [501c](https://fr.wikipedia.org/wiki/501c) » sur Wikipédia. [^P5ch4_m]: Voir le site [jquery.org/](https://jquery.org/). [^P5ch4_n]: Django Software Foundation, « [2013 Annual Report](https://www.djangoproject.com/foundation/reports/2013/) », données de 2013. [^P5ch4_o]: Andrew Godwin, « [Django awarded MOSS Grant](https://www.djangoproject.com/weblog/2015/dec/11/django-awarded-moss-grant/) », *DjangoProject.com*, 11/12/2015. [^P5ch4_p]: [Source](http://collabprojects.linuxfoundation.org/sites/collabprojects/files/lf_collaborative_projects_brochure.pdf)sur *collabprojects.linuxfoundation.org* (01/03/2017 : lien cassé et renvoi sur la page d'accueil des projets de la fondation Linux). [^P5ch4_q]: Paul Krill, « [Joyent staves off talk of a Node.js fork](http://www.infoworld.com/article/2835159/node-js/node-js-governance-model-pushed-as-forking-talk-ensues.html) », *InfoWorld*, 17/10/2014. [^P5ch4_r]: Scott Hammond, « [Introducing the Node.js Foundation](https://www.joyent.com/blog/introducing-the-nodejs-foundation) », *Joyent*, 10/02/2015. [^P5ch4_s]: Voir le site [Rubytogether.org](https://rubytogether.org/). [^P5ch4_t]: Simon Phipps, « [Walmart's investment in open source isn't cheap](http://www.infoworld.com/article/2608897/open-source-software/walmart-s-investment-in-open-source-isn-t-cheap.html) », *InfoWorld*, 22/08/2014. [^P5ch4_u]: Eran Hammer, « [Open Source ain’t Charity](https://hueniverse.com/2014/08/15/open-source-aint-charity/) », *Hueniverse*, 15/08/2014. [^P5ch4_v]: Dion Almaer, « [Why we run an open source program - Walmart Labs](http://todogroup.org/blog/why-we-run-an-open-source-program-walmart-labs/) », *ToDo* (todogroup.org), 24/02/2015. [^P5ch4_w]: Issue de tomchristie, « [What level to pitch pricing tiers?](https://github.com/pybee/paying-the-piper/issues/50) », sur *Paying the Piper* (projet Github), 28/10/2015. [^P5ch4_x]: Voir Partie 3, Chapitre 3. [^P5ch4_y]: Voir [page Gsoc](https://developers.google.com/open-source/gsoc/), sur *Google Summer of Code*. [^P5ch4_z]: Voir l'article « [Summer of Code](https://fr.wikipedia.org/wiki/Google_Summer_of_Code) » sur Wikipédia. [^P5ch4_aa]: Greg Brockman, « [Stripe Open-Source Retreat](https://stripe.com/blog/stripe-open-source-retreat) », *Stripe.com*, 24/04/2014. [^P5ch4_ab]: Voir Partie 3, Chapitre 3. 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